Les MieleExperiences - Anne-Sophie Pic,cheffe triplement étoilée
"Le savoir peut se transmettre. L’expérience est toujours personnelle.“
Vous êtes triplement étoilée, comme votre père et votre grand-père. Quelle famille !
J’ai grandi dans cette maison, juste au-dessus des cuisines, constamment aux prises avec les bonheurs et les soucis que mes parents pouvaient ressentir au quotidien, comme un papier buvard. Dès l’enfance j’ai pu accéder à ce monde-là, de la manière la plus naturelle possible.
Votre père vous a-t-il transmis son savoir ?
Il y a quelque chose qui résonne toujours en moi, c’est quand mon père m’a dit, peu de temps avant son décès, lors que je revenais dans la maison pour apprendre auprès de lui, que l’expérience ne se transmettait pas, que ’était quelque chose que l’on devait connaître soi-même, faire ses propres erreurs. J’ai alors compris que malgré tout ce dont j’avais pu hériter inconsciemment de ce parcours d’enfance, il me fallait vivre les choses qui me permettraient d’avancer dans mon métier. On peut conseiller quelqu’un et lui transmettre une multitude de choses, mais l’expérience est personnelle.
L’expérience n’est donc pas un long fleuve tranquille ?
On nourrit son expérience de ses réussites mais aussi de ses échecs. L’erreur est l’un des ingrédients de l’expérience. Quand j’ai commencé à 22 ans, mon père n’étant plus là pour me guider, j’avais très peur d’avancer,
peur du faux pas. Alors que les erreurs font partie d’un parcours. Il faut se nourrir de ça et ne pas en avoir honte parce que c’est ce qui nous permet de progresser.
Un chef aime-t-il transmettre son savoir-faire ?
Au début, on veut tout garder pour soi, c’est humain. Mais si on ne partage pas son savoir, il se perd. Donc, autant le transmettre. Il y a une beauté dans la transmission. On commence à transmettre quand on devient mature et que l’on possède des connaissances certaines. C’est merveilleux de franchir cette étape-là. Très épanouissant.
Existe-t-il un lien entre les grands plats et les bons petits plats ?
Bien manger, c’est aussi manger des choses très simples, très bien cuisinées. La haute gastronomie, demande d’être capable de simplicité. Je suis animée par l’idée de créer des plats très goûteux et très faciles. Bien
manger au quotidien, pour moi, c’est une réalité qui n’est pas réservée aux sphères de la haute gastronomie.
Votre créativité fait la part belle aux produits méconnus. Je suis toujours très émue quand je découvre un produit. J’aime le comprendre puis le donner à déguster sans le dénaturer. Tout le travail du cuisinier, consiste à restituer une vision de la nature sans la dénaturer. Rester très respectueux de ce que la nature nous offre.
Êtes-vous attentive aux évolutions des équipements ?
Oui, bien entendu, car ces évolutions participent largement à l’évolution de la cuisine. Aujourd’hui, on cuit les produits en conscience, alors qu’on le faisait plus intuitivement par le passé.
Fini le bon vieux piano traditionnel ?
L’arrivée de l’induction en cuisine a bouleversé notre appréhension de la cuisson. Plus du tout de repère. Mais j’ai trouvé ça très intéressant parce qu’il faut parfois accepter de se remettre complètement en question avec des outils nouveaux, quitte à être dans l’inconfort total pour progresser et prendre un autre élan.
Si vous deviez vous présenter ?
Comment voudrais-je apparaître au regard des autres ? Je souhaite d’abord être une maman, qu’on me voit comme telle. C’est quelque chose de merveilleux et d’essentiel dans ma vie. Et puis une épouse aussi. Une mère, une épouse et une cuisinière, … passionnée !